Laurent Achard

Une intranquillité terriblement humaine

6 Septembre 2024, 22h - Dans la salle Henri Langlois de la Cinémathèque française pleine à craquer, tout le monde paraît sonné … Nous venons de voir ou de revoir Le Dernier des fous de Laurent Achard. Sonné parce que son absence, alors que le générique de fin défile sur l’écran, nous renvoie à la figure la brutalité de sa disparition, mais aussi parce que la brutalité de la fin du film y fait terriblement écho. Une fin implacable, brutale, féroce, et en même temps sans emphase, empreinte d’une sereine détermination. Tout est calme, la seule confusion est celle qui règne dans ma tête.

A regarder ce film aujourd’hui on mesure la rigueur d’une mise en scène, sans aucun effet psychologique, sans autre fioriture que la beauté des plans eux-mêmes, traversés par la substance cruelle du monde. Radicalité de la mise en scène pour accompagner la radicalité de situations qui viennent tout au long du film secouer notre habitude de spectateur. La prendre à revers, histoire de nous couper le souffle, et de ne surtout pas nous permettre de regarder avec complaisance la violence : celle qui sourd sous la douceur comme celle qui éclate. Et la mort comme unique solution… Face au bourbier bien-pensant dans lequel certains voudraient nous voir bien installés, revoir les films de Laurent  nous permet, au-delà de nous souvenir le cinéaste qu’il était, de nous redresser sur notre siège  de spectateur, de nous élever dans notre exigence de cinéma, nous armer face à la médiocrité, nous rebeller contre la fadeur, la mièvrerie, et les discours dominants qu’on nous impose.

Après avoir obtenu le Prix Jean Vigo en octobre 2006, Le Dernier des fous a été couronné du Prix du Public au festival Entrevues. Je me souviens la joie qui fut la mienne, tandis que je faisais cette même année connaissance avec ce public d’Entrevues, de réaliser, grâce à ce prix, combien il était exceptionnel, curieux, exigeant, prêt à toutes les aventures et tous les pas de côté, et combien nous allions bien nous entendre, bien nous amuser ensemble, comme cela fut le cas pendant les 6 années où j’ai été à la tête du festival. 

Mais Belfort en 2006 n’était pas pour Laurent une première fois : tout au long de son chemin de cinéaste, depuis 1994 et son court métrage Dimanche ou les fantômes jusqu’à Dernière séance son troisième et dernier long métrage de fiction en 2011, Laurent Achard a été accueilli à Entrevues, y a gagné des prix, y était aussi reçu en ami. 

Compagnonnage exemplaire entre un cinéaste et un festival, ou plus précisément un esprit de cinéma insufflé pendant plus de 20 ans par Janine Bazin qui disait que les films qui l’intéressaient étaient ceux qui lui faisaient quelque chose à la tête, au cœur et aux tripes. Sans doute Laurent se reconnaîtrait-il dans ces paroles. C’est pour ma part ainsi, de part en part, que me traverse le cinéma de Laurent Achard. 

C’est donc à Belfort que nous nous sommes rencontrés et c’est le plus souvent dans ces occasions - devoir se présenter devant le public au moment des projections de ses films - que nous avons connu les moments de connivence les plus intenses et de plus grand embarras.  Fuyant, incertain, pris d’une ubuesque intranquillité, il devenait ensuite totalement survolté, rieur, prêt à toutes les facéties, à toutes les exubérantes farces, terriblement en proie à lui-même. 

Ma rencontre avec Laurent n’a pas été celle de l’amitié mais celle de la reconnaissance. Cette reconnaissance allait bien au-delà de ses propres films puisque à partir de 2016 il fera quatre portraits dans la veine de Cinéastes de notre temps - encore un lien fort avec Janine Bazin - consacrés pour trois d’entre eux à des cinéastes que nous avions choisi de mettre à l’honneur à Entrevues : Paul Vecchiali, invité en 2006, Jean-Claude Brisseau et Patricia Mazuy tous deux invités en 2011. Cinéastes indispensables pour lui, pour moi.

Oui, dans le brouhaha qu’émet notre petit monde du cinéma, nous nous sommes reconnus, et je me souviens comment il se penchait à mon oreille, la main devant la bouche pour me crier ce qu’il avait à dire. Comme les enfants, crier pour mieux dire les secrets : phrases courtes, incisives, à la fois malicieuses et définitives… bien sûr, toujours sur les films, leurs auteurs et leurs manières, toujours sur le cinéma, la vie à la place de la vie, quoi ! 

Catherine Bizern
― déléguée générale et directrice artistique d'Entrevues de 2006 à 2012

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