Robert Guédiguian

Robert Guédiguian, la place du cœur

L’œuvre de Robert Guédiguian se partage entre deux passions, deux élans que d’aucuns jugeraient contradictoires : l’une politique, l’autre lyrique, diversement épanchées dans l’ensemble de ses 24 films tournés en 43 ans. Politique et lyrisme : ces deux « jambes » qu’on fait rarement marcher dans la même direction, le cinéaste a tenu à les faire siennes, et de leur écart s’est inventé son propre espace, inscrit dans le dédale de la ville-monde qu’est Marseille avec pour point d’attache le quartier de l’Estaque.

 

Le politique, chez lui, désigne une attention aux destinées de la gauche dès lors que fut définitivement close la parenthèse des bouillonnantes années 1970. Son premier long-métrage Dernier Été cosigné avec Frank Le Wita date ainsi de 1981, année charnière de l’élection de François Mitterrand - auquel il consacrera Le Promeneur du Champ-de-Mars (2005) – comme de l’incubation de la « nouvelle
économie » vouée à mettre à bas les structures ouvrières. C’est la part de ce cinéma qui allie volonté de discours et souci d’efficacité dramatique. Guédiguian retient en ce sens la leçon du théâtre didactique de Brecht et n’hésite pas, à rebours de l’auteurisme à la française, à faire profession d’un optimisme volontariste, comme dans L’Argent fait le bonheur (1993), conte social à la Capra, où à la fin le curé participe à la redistribution du magot à toute la cité, ou encore la romance de classe de Marius & Jeannette (1997), qui entrevoit la perspective du bonheur.

Au lyrisme, en revanche, revient la part irréfragable des sentiments : c’est l’étreinte douloureuse du mélodrame (Ki lo sa ?, 1985 ou Les Neiges du Kilimandjaro, 2011), la noirceur des fatalités urbaines (La Ville est tranquille, 2000), les limites éprouvées de l’utopie dans la mordorure du soleil mourant (Marie-Jo et ses deux amours, 2002). Toutes choses qui ont en commun l’expérience de la perte. Alors, il n’est pas rare que la caméra souffle, s’attarde sur un visage, décrive un mouvement gratuit, s’adonne au pur plaisir de la contemplation – et cette respiration esthétique frôlant une certaine désespérance n’est en rien le contraire de la politique, mais l’un de ses moments dialectiques.

Au couple politique-lyrisme, on pourrait en substituer un autre : fidélité et mélancolie. Fidélité à une troupe d’acteurs (la trinité Ascaride-Meylan-Darroussin auxquels s’en sont agrégés d’autres) observés depuis leur prime jeunesse jusqu’à l’âge de maturité. Mélancolie des luttes jamais définitives, toujours à recommencer. C’est au nom de ce dernier couple que Guédiguian s’est autorisé des incursions hors Marseille : en remontant le fil de l’Histoire avec des films comme L’Armée du crime (2009), sur les agissements du groupe Manouchian, ou de sa propre généalogie arménienne avec Le Voyage en Arménie (2006). Dernièrement, Guédiguian est même sorti des frontières pour aller filmer une autre histoire : celle de l’indépendance du Mali en 1962 avec Twist à Bamako (2021). Dans cette série d’écarts, le cinéma assure l’essentiel : étendre le champ, ouvrir l’espace du commun.

Mathieu Macheret

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