Vamps! ces femmes qui ont donné corps au cinéma muet
La figure de la Vamp est un des grands mythes cinématographiques, aussi populaire que intemporel. Si elle tire son nom du vampire, à qui elle emprunte son pouvoir de fascination, c’est bien plus une variation autour de la femme fatale, qui apparaît dès les années 10 dans de nombreux pays. Maléfiques à l’écran, et incarnées par des comédiennes aux caractères bien trempés, ces vamps révolutionnent instantanément les représentations féminines de leur époque.
Irma Vep (anagramme de vampire), interprétée par Musidora, personnage lié aux forces obscures, est considérée comme la première vamp du cinéma en France, alors qu’à la même période Theda Bara, Louise Glaum ou Helen Gardner aux Etats-Unis, Asta Nielsen au Danemark, Ola Negri en Pologne, Vera Kholodnaïa en Ukraine ou encore Valeria Creti, Francesca Bertini et Lina Cavalieri en Italie, rencontrent toutes une grande popularité. Elles marquent les imaginaires jusqu’aux années 30, et font souffler un vent de rébellion qui résonne avec leur temps. Leur point commun : elles apportent au cinéma leurs corps, leurs mouvements, leurs jeux hors norme et à travers la danse et l’acrobatie, une physicalité qui ne cesse, encore aujourd'hui, de nous hypnotiser.
Danseuse de formation, née d’un père compositeur et théoricien du socialisme, et d’une mère peintre et féministe engagée, Musidora, avec son teint pâle et ses yeux cernés de noir, invente un corps de femme libéré, enchaînant cascades et combats. Si son image dans une combinaison noire moulante l’immortalise dans la culture populaire, la série des Vampires lui offre pourtant toute une galerie d’identités où elle est l’égale des hommes, voire leur meneuse, tenant tête aux forces de l’ordre et à la bienséance. Comme aucune femme à l’écran avant elle, elle possède le pouvoir de métamorphose.
Asta Nielsen se fait connaître grâce à une danse qui passe pour indécente dans L’Abîme d’Urban Gad (1910). Quant à Alla Nazimova, elle invente un summum de sensualité tragique avec sa danse dans le Salomé de Charles Bryant (1923), qu’elle co-réalise. Les grandes Vamps de l’Histoire du cinéma ont ceci en commun, une manière d’imposer leur propre tempo, dirigeant ainsi le film, en superposant au récit une dimension supplémentaire : érotique, fantastique, fantasmagorique. Les surréalistes ne manqueront pas de s’emparer de ces figures protéiformes et feront de Musidora leur égérie.
Autre figure de l’avant-garde, Germaine Dulac, sera tout autant fascinée par la puissance des corps féminins, et réalise plusieurs films centrés sur la danse (Danses Espagnoles, Thèmes et Variations) ainsi que, en 1920, La Fête Espagnole. Alors que la grande heure des Vamps touche à sa fin, certaines, telle que Musidora, passent à la réalisation. En Espagne, suivant sa passion pour un torero, elle réalise quatre films autoproduits, portés par un esprit d’expérimentation, ancrant la fiction dans le réel du pays qu’elle découvre. Devant, puis derrière la caméra, elle poursuit l’invention de nouvelles formes cinématographiques.
Laurence Reymond